Dominique Piazza, inventeur génial de la carte postale photographique
Empreinte directe de notre mémoire collective, son intérêt est à la fois historique, encyclopédique, artistique : la carte postale photographique révèle le monde tel qu’il est, figé pour l’éternité en une image arrêtée. Née dans les années 1890, elle est l’un des objets le plus collectionné au monde.
On doit l’existence de ce petit rectangle de carton illustré photographiquement à un Marseillais, Dominique Piazza.
Retour sur la destinée extraordinaire de cet homme d’affaires, aventurier excursionniste et féru de culture.
Piazza : un entrepreneur génial
La première carte postale imprimée et illustrée photographiquement en France fut créée à Marseille, en août 1891, par Dominique Piazza (1860-1941).
Né au sein d’une famille sarde modeste – son père est maçon avant de devenir entrepreneur en construction – il a la boulimie des affaires et du flair.
Il grandit dans le quartier d’Endoume. D’abord « commis en écriture » en 1874 au sein de la maison Fleury, spécialisée dans l’importation de raisins secs de Turquie, il est promu comptable deux ans plus tard. Devenant le bras droit de Charles Fleury, il finit par lui succéder.
Dominique est un ambitieux, sûr de son fait. Il transforme le nom de l’établissement : « Piazza frères », puis « Piazza et Rizzi » et emménage dans de vastes locaux au 88, boulevard de Paris à proximité des docks. En 1891, il a l’idée audacieuse de relier deux inventions récentes : la photographie et la phototypie. Pourquoi ? D’abord par… Amitié !
Naissance de la carte postale photographique
Dominique Piazza souhaitait faire plaisir à un ami d’enfance, Antonin Billaud, parti tenter fortune à Santiago del Estero, en Argentine.
Ce dernier soupire après sa ville natale. Dominique fait réaliser des photos de la ville pour lui en expédier régulièrement.
Collées sur du carton épais, comme cela se faisait à l’époque, les photos se révèlent lourdes et encombrantes. De plus, les frais de port pour une destination aussi lointaine sont très élevés... L’idée lui vient alors de réduire les vues et de les rassembler par trois ou quatre sur un même petit carton, en conservant un espace libre pour quelques mots de correspondance.
Un imprimeur finalise le tout et c’est ainsi qu’est créée à Marseille, le 4 août 1891, la première carte postale photographique française imprimée en phototypie !
Désillusion
Dominique souhaite proposer également ses cartes postales à la population marseillaise. Succès : le premier tirage (supposé) d’un millier d’exemplaires s’épuise en une semaine.
Tenté un instant par l’aventure commerciale, Piazza crée une société d’édition. Alors que la Loi du dépôt légal du 29 juillet 1881 fait obligation pour les éditeurs de déposer des exemplaires de cartes postales et de photographies à la Bibliothèque nationale, il ne dépose ni marque, ni brevet. Des éditeurs alléchés par l’importance de l’invention et les profits pouvant en découler.lui dérobent, sans scrupule, le procédé. Rien ne le leur interdit et ils disposent de moyens plus importants que ceux du simple comptable.
Dominique abandonne la production de cartes postales quelques mois après son invention. Il en gardera toute sa vie une vive amertume.
L’excursionniste, amoureux de la nature
Dominique est également un grand amoureux de la nature provençale et de la richesse du patrimoine naturel qui ceinture la ville.
En 1892, il devient président de la société des Excursionnistes marseillais, fondée par Paul Ruat. Très vite, la société fait des adeptes : 11 000 membres en 1914, près de 25 000 en 1938.
Les massifs autour de Marseille sont cartographiés, balisés et entretenus par les bénévoles de la Société. La Société des Excursionnistes marseillais devient une véritable « association à but non lucratif » de loisirs, de promotion du terroir et du patrimoine culturel, de rédaction et de formation à la cartographie, d’entretien des espaces naturels et… de défense de l’environnement. Le 13 mars 1910, une manifestation est coordonnée pour protester contre l’exploitation dévastatrice d’une carrière ! Conformément à l’air du temps, figure également une formation à la préparation militaire... En 1912, Dominique fonde sa propre association, la Famille, qui sur le modèle de la précédente, a pour but la découverte des beautés naturelles de la région et le maintien des traditions. Pendant la Première Guerre mondiale, elle se mobilise pour l’accueil des réfugiés chassés par les combats et les bombardements.
Un « écologiste » féru de culture
Son goût pour la diffusion de la culture le conduit au mécénat.
Sous l’influence de son ami Eugène Silvain, acteur réputé, il veut doter Marseille d’un théâtre de verdure. Faisant l’acquisition d’un terrain dans le vallon de l’Oriol, il aménage un théâtre d’une capacité de 5 000 spectateurs, baptisé Théâtre Silvain. La colline qui sert de décor naturel à la scène est plantée d’espèces méditerranéennes. Afin d’alléger les coûts qu’il assume dans leur intégralité, Dominique rachète les matériaux issus du démontage de l’Exposition coloniale de 1922 qui a lieu à Marseille. Le théâtre inauguré en 1923 existe toujours aujourd’hui. Fervent catholique, il collabore durant les dernières années de sa vie au journal L'Éveil provençal, journal d'action catholique, économique et sociale.
Il devient secrétaire général de l’association « Les Amis de l’Éveil », pour laquelle il coordonne sorties et rencontres culturelles. Il meurt le 13 décembre 1941, à l’âge de 81 ans à Marseille.
Un peu d’histoire
Il semblerait que déjà, au Xe siècle, les Chinois s’envoyaient des cartes de vœux !
Cette pratique se retrouve en France vers le milieu du XVe siècle, la bibliothèque universitaire de Stasbourg en conserve deux exemplaires différents.
Plus tard, sous Louis XIII, on s’adresse par la poste des cartes gravées sur lesquelles on rédige un compliment, un message d’amitié, des vœux. Cette pratique fut interdite en 1791 par la Révolution française, afin d’effacer une trace de l’Ancien Régime. Mais, l’Europe avait déjà été conquise par ce moyen simple et pratique de communication. L’invention de la carte postale est officialisée en Autriche le 1er octobre 1869.
L’inventeur, Emmanuel Hermann (1838-1902), professeur à l’Académie militaire de Vienne-Neustadt, a repris une idée du conseiller Heinrich Von Stephan, haut fonctionnaire prussien des services postaux. Il s’agit d’introduire un système de correspondance ouverte, pratique et, bien sûr, économique. Lors de l’invasion de la France par les Prussiens en septembre 1870, les armées occupantes autorisent les soldats français à correspondre avec leur famille au moyen de la carte postale.
Le 21 septembre, dans Paris assiégé, le gouvernement français autorise lui-aussi l’emploi de la carte postale. Ce n’est que par un décret du 20 septembre 1872 que la carte postale est officialisée en France.
En 1875, l’Administration autorise la fabrication et la vente de cartes postales par des entreprises privées. Ces cartes s’illustrent bien souvent d’enluminures, d’une gravure reproduite en noir, puis d’une gravure chromolithographique.
Mais, l’invention et le perfectionnement de la photographie, l’évolution des procédés d’impression vont offrir de plus en plus de possibilités.
En 1890, le Marseillais Léon Vidal invente l’héliotype, procédé photographique de reproduction.
En 1894, l’invention de la phototypie, procédé d’impression à l’encre grasse au moyen de gélatine bichromatée et insolée sur plaque de verre et permettant un rendu à modèle continu non tramé, offrira la possibilité d’une industrialisation de la production.
(source : Club Cartophile Marseillais, texte de Gérard Baudin et Albert Leibovitch paru dans la Revue Marseille n°226)
Légendes :
- Photo 1 : Anonyme, Dominique Piazza, son épouse et ses enfants (AMM, 125 Fi NC)
- Photo 2 : Henri Lafargue, Dominique Piazza dirigeant la musique lors d'une fêtes des Excurs (AMM, 33 Fi 4155)
- Photo 3 : Latil, médaillon Dominique Piazza, 1919 (AMM, 125 Fi)
- Photo 4 : Les établissements Piazza et Rizzi (AMM, 125 Fi)
- Photo 5 : Les établissements Piazza Frères (AMM, 125 Fi NC)
- Photo 6, panoramique et vignette : Louis-Honoré Alméric, Les fondateurs de la société des excursionnistes marseillais, 1897 (AMM, 35 Fi 1329)